Une semaine après l’utilisation du 49.3 pour faire adopter la controversée réforme des retraites, des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées à Paris, selon les syndicats, pour dénoncer le « passage en force » de l’exécutif et crier leur colère. Dans le cortège, certains battaient déjà le pavé ces dernières semaines. D’autres sont venus les rejoindre pour la première fois pour dénoncer « un déni de démocratie »
« Manu Ciao », « 49.3 ou pas, la réforme elle ne passera pas ». Jeudi 23 mars, c’est une immense marée humaine qui est venue manifester à Paris pour la neuvième journée de mobilisation contre la réforme de retraite . Quelque 800 000 personnes ont battu le pavé, selon les chiffres avancés par les syndicats, 119 000 selon le ministère de l’Intérieur – un record depuis le début du mouvement. Au-delà du projet de loi contesté, beaucoup sont venus crier leur colère une semaine de recours après le recours au 49,3 par le gouvernement . Dans la foule, les voix dénonçaient ainsi « le mépris » d’Emmanuel Macron, une « dérive autoritaire » et « une démocratie en danger ».
Tout le long du cortège, parti d’une place de la Bastille noire de monde aux alentours de 14 heures, les manifestants ont scandés des slogans devenus habituels lors de ces journées de mobilisation – « Métro-boulot-caveau », « La retraite avant l’arthirtre » ou encore « Tu nous mets 64, on te mai 68 ».
« Macron, le méprisant »
Cette fois-ci d’autres pancartes se sont montrées omniprésentes, avec deux principales cibles : Emmanuel Macron et Elisabeth Borne. Le chef de l’État dépeint en diable, en monstre ou Louis XVI côtoyait une Première ministre affublée de cornes et de griffes.
« Macron, le méprisant », brandissent par exemple Valérie et Magali, reprenant des affiches offertes par le parti communiste français et qui ont beaucoup de succès. « Emmanuel Macron est dans son bureau doré de l’Élysée, au-dessus de nous tous et incapable de comprendre la pénibilité du monde du travail aujourd’hui », dénoncent de concert les deux femmes de 57 et 54 ans. « Il refuse catégoriquement d’entendre que nos conditions de travail ne cessent de se dégrader depuis des années – avec toujours moins de budget et d’effectif. Nous ne pouvons physiquement pas travailler deux années supplémentaires ! »
Les deux amies, professeure d’EPS et secrétaire dans un service d’archives dans la banlieue parisienne, ont manifesté chaque semaine contre le projet. « Nous pensions nous arrêter après la dernière manifestation car nos salaires commencent à souffrir. Mais quand on a vu que le gouvernement avait recours au 49.3, en méprisant totalement la voix des Français, nous avons changé d’avis », poursuivent les deux femmes. Avant de marteler, décidées : « Maintenant, on continuera le temps qu’il faudra. »
Michel, quant à lui, brandit une pancarte tout aussi explicite sur laquelle ont peut lire : « Du haut de l’Elysée, ersatz de Jupiter, le peuple rassemblé, te descendra sur terre », peut-on lire. « On en a assez d’un président qui se prend pour Louis XIV, qui n’écoute pas, qui pense qu’il est le seul à savoir ce qui est bien pour le pays », explique ce retraité de 72 ans. « Avant, même quand ils étaient mauvais, les présidents savaient au moins écouter, et reculer quand il le fallait. Aujourd’hui ils sont simplement sur une autre planète. »
Plus que la réforme des retraites, c’est ce recours au 49.3 qui a poussé Marie-Lou et Aurélien à descendre dans la rue. S’ils sont opposés à la réforme, ils n’avaient pas fait grève ou manifesté jusqu’ici. « Mais aujourd’hui nous sommes ici car il est hors de question que nous acceptions ce déni de démocratie. Au-delà du projet de loi en lui-même, c’est vraiment ce passage en force que l’on est venu dénoncer », expliquent-ils. « Depuis des mois, le gouvernement a l’air de faire ce qu’il veut et la colère s’accumule. Là, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Trop c’est trop. »
« On peut encore faire plier le gouvernement »
Dans la foule compacte qui tente de rallier progressivement la place de la République puis la place de l’Opéra sous le soleil et le fracas des pétards, les manifestants interrogés avouent osciller entre « colère », « détermination », « frustration », mais aussi, pour certains une once de résignation.
« Je n’avais jamais manifesté avant la réforme des retraites. Mais ce projet est si injuste et inégalitaire que pour la première fois, j’avais décidé de descendre dans la rue », témoigne Valérie. À 54 ans, cette clerc de notaire se dit « dégoutée » et « écœurée » par l’utilisation du 49.3, et avoue à mi- mot être peu confiante pour la suite. « Emmanuel Macron refuse totalement de nous entendre. Je suis pessimiste. Je ne pense pas qu’il cédera, mais je manifeste quand même car je veux le forcer à entendre notre colère », explique-t-elle.
« Avant la réforme des retraites, je n’avais jamais manifesté », raconte Valérie. « Aujourd’hui, je ne crois plus du tout qu’on arrivera à arrêter la réforme. Mais je suis là quand même, pour faire entendre ma colère »
Selon elle, le dernier espoir réside plutôt dans les outils démocratiques à disposition de l’opposition . le referendum de l’initiative partagée . Soumise lundi 19 mars au Conseil constitutionnel par l’opposition, cette arme à la disposition des députés prévoit la possibilité d’organiser une consultation populaire sur une proposition de loi. Et la procédure permettrait de bloquer pendant neuf mois la mise en œuvre de cette semaine .
Greg et Philippe, de leur côté, refusent de céder à la morosité. « On peut encore faire bouger les choses. La rue a déjà fait plier un gouvernement même une fois une loi adoptée. Nous pouvons recommencer », assurent ces deux militants de la CGT, en référence à la loi sur les CPE, en 2006, qui avait finalement été abandonnée face à la pression de la rue. « Justement, il faut se mobiliser encore davantage. Il faut que chacun vienne exprimer sa frustration face au mépris du gouvernement. »
« Macron est droit dans ses bottes, mais nous aussi. Il joue l’usure, mais on tiendra. On est bien remontés… Il parle d’incompréhension, dit que le gouvernement a manqué de pédagogie… mais on a très bien compris ce qu’il veut faire : il veut donner deux ans de plus à ceux qui méritent leurs retraites, comme les travailleurs essentiels, au lieu d’aller chercher l’argent là où il faut. »
« Bloquons le pays »
Après huit journées de mobilisation sans débordements importants, l’ambiance au sein du cortège est bien plus tendue jeudi, certains n’hésitant pas à scander « ça va péter ! ».
À l’image des violences ces derniers jours, plusieurs incidents ont eu lieu en début de cortège. Tout au long de la manifestation, des personnes habillées en noir et équipées de masques et lunettes, ont notamment ont brisé des vitrines et dégradé du mobilier urbain. Ils ont aussi lancé de nombreux pavés et bouteilles sur les forces de l’ordre, qui ont fait usage à de nombreuses reprises de gaz lacrymogène. Plusieurs poubelles et trottinettes ont également été incendiées.
Des violences que Pascal, 54 ans, condamne mais comprend. « À force de nous mépriser, Emmanuel Macron radicalise le mouvement », dénonce-t-il, affublé d’un gilet jaune et d’une pancarte satirique représentant le personnage de BD d’Asterix donnant une gifle à Macron. « Je dénonce ces violences. Mais je suis d’accord sur un point : il faut que la rue se soulève. C’est le moment ou jamais. Bloquons le pays s’il le faut mais cette loi ne doit pas passer ! »