Le samedi 27 septembre, une jeune livreuse est victime d’une effroyable agression et d’un viol après avoir été piégée par un moto-taxi. Son calvaire ne faisait que commencer. Son récit à la gendarmerie de Nkolodom, au lieu de déclencher l’enquête qui s’imposait, a révélé une autre forme de violence : celle de l’inertie administrative, de l’incompétence et de la corruption d’une brigade censée la protéger. Enquête sur un double scandale.
Le Cauchemar d’une Livreuse
Yaoundé, samedi 27 septembre, 16h00. Comme beaucoup de jeunes Camerounais, elle vit de l’économie numérique. Ce jour-là, cette jeune femme, dont nous tairons le nom pour sa sécurité, prend un moto-taxi à la gare d’Olembe pour livrer des chaussures à une cliente près du stade. Très vite, l’inquiétude la gagne : le conducteur s’éloigne des zones habitées. Sur une autoroute déserte, il rejoint un bosquet où l’attendent deux complices. Le piège se referme.
Ce qui suit est d’une brutalité inouïe. Traînée dans une forêt, la victime est rouée de coups -pieds, poings sur la tête – avant d’être violée à plusieurs reprises dans un bas-fond marécageux. Ses agresseurs lui jettent du sable dans les yeux pour l’aveugler. Déshabillée, volée de son téléphone et de sa marchandise, elle est laissée pour morte. Ce n’est que le lendemain matin que des villageois, se rendant aux champs, la découvrent. Ils lui offrent une robe et lui paient le transport de retour. Son calvaire physique est terminé. Son combat pour la justice, lui, commence.
Le Récit de l’Inaction
Notre enquête s’appuie sur le récit détaillé et concordant de la victime, corroboré par des documents médicaux et le témoignage de son parent accompagnateur. Chaque étape de son parcours à la gendarmerie de Nkolodom a été reconstituée, révélant un schéma accablant d’inertie.
Dès leur arrivée le dimanche matin à 9:00 , le premier contact est glaçant. « Vous êtes devant les gendarmes, expliquez-vous », lancent les militaires refusant même de les faire asseoir. À peine la jeune femme, le visage tuméfié, entame-t-elle son récit qu’elle est interrompue. On lui indique, en cœur, un secrétariat public en face : « Allez là-bas rédiger votre plainte. C’est deux mille francs. »
La plainte rédigée à leurs frais, ils reviennent. Nouvelle instruction, sans que le dossier ne soit véritablement examiné : aller chercher un certificat médical. La victime obtempère, profitant de cette démarche pour recevoir des soins.
Quelques jours plus tard, munie de son dossier médical, elle retourne à la gendarmerie. C’est alors que l’enquête, ou ce qui en tient lieu, prend un virage choquant. La question des gendarmes se focalise sur le téléphone volé. Après avoir demandé la facture de l’appareil, ils annoncent à la jeune femme, toujours choquée, la solution miracle : pour tracer le téléphone, elle doit produire… 30 000 FCFA.
Les Preuves Ignorées, l’Argent Roi
Cette demande d’argent est la révélation capitale. Elle expose une priorité troublante. Car en exigeant cette somme, les gendarmes de Nkolodom prouvent qu’ils n’ont pas lu la plainte qu’ils ont pourtant reçue. Ils n ont fait aucun effort pour recouper l ‘ information, S’ils l’avaient fait, ils y auraient découvert des pistes évidentes et immédiates, gratuites celles-là.
D’abord, le témoignage des villageois. Ces derniers ont explicitement déclaré à notre reporter rédacteurs que ces agressions étaient un « cirque quasi quotidien » à cet endroit, et qu’ils secouraient régulièrement des victimes. Une information cruciale qui, dans une enquête sérieuse, déclencherait des patrouilles ciblées et des interrogatoires dans la zone.
Ensuite, le récit de la victime contient deux indices lourds de sens. En descendant de la moto, l’un des agresseurs a lancé : « Le gars de Bafang si ,tu es un bon travailleur ! » – une phrase qui pourrait conduire aux criminels car ce dernier est moto taximan à la gare d ‘olembe . Pendant l’agression, les complices parlaient entre eux en éton, circonscrivant considérablement le champ des suspects potentiels.
Autant d’éléments laissés en jachère. La seule piste que la brigade semble prête à suivre est conditionnée à un virement de fonds de la part de la victime. « On peut te faire le travail si tu paies 30 000 FCFA », lui aurait-on asséné. Cette pratique transforme le service public de justice en une prestation payante, inaccessible pour les plus précaires.
Un Système Qui Protège les Criminels
La situation à la gendarmerie de Nkolodom n’est pas seulement une tragédie individuelle. Elle est le symptôme d’un désastre institutionnel. L’incompétence, couplée à une corruption rampante , crée une zone de non-droit où les criminels opèrent en toute impunité, et où les victimes sont doublement punies.
Les conséquences sont tangibles : des agresseurs et violeurs en série restent libres, capables de récidiver. La confiance des populations envers les forces de l’ordre, déjà fragile, s’érode davantage. Chaque victime qui se voit opposer une demande d’argent plutôt qu’une écoute professionnelle est une preuve vivante de la faillite du système.
Cette affaire doit impérativement interpeller le secrétariat général de la gendarmerie nationale. De nombreuses autres victimes, silencieuses par peur ou par découragement, réclament la même chose : que justice soit faite et que les malfrats soient arrêtés. Il est urgent qu’une enquête interne soit ouverte sur les pratiques de la brigade de Nkolodom, que les procédures soient respectées et que les pistes évidentes soient enfin explorées.
Car Le prix de l’inaction se compte, lui, en vies brisées.