Le 23 juin 2023, alors que Yevgeny Prigozhin, leader des mercenaires russes de la société Wagner, se rebellait contre les hauts responsables militaires russes, un mouvement de panique s’emparait des autorités centrafricaines. Dans une lettre datée de ce jour, des responsables du gouvernement de la République centrafricaine ont rapidement sollicité une réunion avec une société de sécurité américaine pour envisager une possible collaboration.
Cette initiative s’inscrit dans un contexte où environ 1 500 mercenaires du groupe Wagner opéraient sur le territoire centrafricain, se présentant comme des alliés essentiels dans la lutte contre les rebelles locaux. Cependant, la rébellion de Prigozhin a suscité des inquiétudes quant à la stabilité de cette alliance, amenant la République centrafricaine à se tourner vers Bancroft Global Development, une entreprise américaine spécialisée dans la sécurité. En septembre 2023, un accord a été signé entre les deux parties, déclenchant ainsi des tensions avec les mercenaires russes encore présents sur le terrain.
Une bataille d’influence entre Moscou et Washington
La situation en République centrafricaine est un microcosme de la lutte d’influence entre la Russie et les États-Unis qui se joue sur l’ensemble du continent africain. Depuis quelques années, la Russie a consolidé son rôle de partenaire militaire privilégié pour de nombreux gouvernements africains, notamment en République centrafricaine, au Mali, et plus récemment au Burkina Faso. Les mercenaires de Wagner, sous contrat avec plusieurs États, sont réputés pour protéger les dirigeants africains et combattre les groupes rebelles et extrémistes.
Cependant, la réputation du groupe est entachée par de multiples accusations de violations des droits de l’homme. En République centrafricaine, des organisations comme The Sentry ont dénoncé des méthodes de torture enseignées aux forces armées locales par Wagner, telles que l’amputation de membres ou l’incendie de personnes vivantes. Cette brutalité, combinée à des accusations d’exploitation des ressources naturelles comme les minerais et le bois, a semé la terreur parmi la population locale.
Recalibrage des opérations russes en Afrique
La mort de Yevgeny Prigozhin dans un accident d’avion en août 2023 a laissé un vide au sommet de la hiérarchie de Wagner, obligeant la Russie à réorganiser ses opérations en Afrique. Le gouvernement russe, par le biais de son ministère de la Défense, a rapidement repris le contrôle des actifs de Wagner sur le continent et a annoncé la création d’un groupe parallèle, Africa Corps, pour absorber les mercenaires de Wagner.
Malgré ces réajustements, les mercenaires russes restent profondément enracinés dans le système sécuritaire centrafricain. Ils jouissent d’une popularité auprès de certaines fractions de la population, qui les considèrent comme des héros nationaux, ayant repoussé les attaques rebelles à Bangui, la capitale, en 2021.
L’option américaine : Bancroft en Centrafrique
Face à la montée en puissance de Wagner, les États-Unis cherchent à rétablir leur influence en Afrique. Malgré plusieurs tentatives infructueuses, dont une rencontre en décembre 2022 pour explorer des alternatives à Wagner, Washington a finalement trouvé une porte d’entrée avec Bancroft Global Development. L’entreprise, déjà active depuis plus de 15 ans en Somalie, a été invitée par le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra pour renforcer la sécurité intérieure du pays. Toutefois, le faible nombre de personnel de Bancroft en Centrafrique, moins de 30 personnes, et les défis complexes liés à la présence de Wagner, rendent cette transition difficile.
Les critiques dénoncent le manque de transparence autour des activités de Bancroft, ce qui nourrit un climat de méfiance dans une nation déjà fracturée par des décennies de conflits armés. De son côté, Lewis Mudge de Human Rights Watch affirme que cette opacité ne fait qu’alimenter les suspicions et exacerber les tensions entre les différents acteurs armés sur le terrain.
Un avenir incertain
La rivalité entre les États-Unis et la Russie en République centrafricaine n’est qu’un des nombreux exemples de la manière dont les puissances étrangères tentent de contrôler les ressources et les dynamiques politiques en Afrique. Alors que la Russie continue de renforcer sa présence militaire, certains analystes craignent que les initiatives américaines, bien que tardives, ne parviennent pas à contrer efficacement l’influence russe.
Pour les Centrafricains, cependant, ces luttes d’influence étrangères semblent souvent éloignées de leurs préoccupations quotidiennes. Comme le souligne Jean Louis Yet, un vendeur au marché de Bangui, « Nous sommes ici pour essayer de survivre. Tout ce que nous voulons, c’est la sécurité. »
En fin de compte, le succès ou l’échec des initiatives américaines et russes en Afrique dépendra de leur capacité à répondre aux besoins locaux en matière de sécurité et de développement, plutôt qu’à leurs propres intérêts géopolitiques.
Conclusion
La République centrafricaine reste un terrain fertile pour la compétition entre grandes puissances. Alors que la Russie et les États-Unis se disputent le contrôle de ce pays stratégique, le peuple centrafricain espère avant tout une stabilité qui mettrait fin à des décennies de violence et d’incertitude. L’avenir de la présence de Wagner et de Bancroft dans la région demeure incertain, mais ce qui est sûr, c’est que cette lutte pour l’influence en Afrique ne fait que commencer.