Après plus de deux décennies de pourparlers, l’Union européenne (UE) et le Mercosur — le bloc commercial sud-américain regroupant le Brésil, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie — peinent toujours à conclure un accord commercial majeur. Alors qu’un projet d’accord avait été annoncé en 2019, des désaccords sur des questions environnementales, économiques et politiques freinent sa ratification.
Un accord d’envergure mondiale
L’objectif de cet accord est ambitieux : créer l’une des plus grandes zones de libre-échange au monde, représentant plus de 700 millions de personnes et près de 25 % du PIB mondial. À l’instar de l’accord commercial entre les États-Unis, le Mexique et le Canada, il vise à réduire les barrières douanières pour faciliter les échanges commerciaux.
Pour l’UE, l’accord permettrait de diminuer les tarifs sur des produits tels que les voitures, les machines et les produits chimiques. De leur côté, les pays du Mercosur bénéficieraient d’un meilleur accès au marché européen pour des produits agricoles comme le bœuf, la volaille et le sucre.
La résistance des agriculteurs européens
Les agriculteurs européens, particulièrement en France, redoutent une concurrence accrue des produits sud-américains. Ils dénoncent une saturation de leurs marchés locaux, craignant que la réduction des tarifs douaniers ne les place en situation de désavantage économique.
Par exemple, l’accord prévoit une réduction de tarif à 7,5 % pour 99 000 tonnes de bœuf, tandis que 180 000 tonnes de volaille pourraient être exportées sans droits de douane. Ces volumes représentent moins de 2 % de la consommation annuelle de bœuf dans l’UE, selon la Commission européenne.
Cependant, les éleveurs soulignent qu’ils ne peuvent rivaliser avec les producteurs sud-américains, qui profitent de coûts de main-d’œuvre plus faibles et de réglementations moins strictes, notamment en matière d’hormones de croissance. Un audit récent de la Commission européenne a d’ailleurs révélé que le Brésil ne peut garantir que ses exportations de bœuf vers l’UE sont exemptes de l’hormone interdite “oestradiol 17-β.”
Un soutien marqué dans certains pays
L’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et le Portugal figurent parmi les pays de l’UE qui poussent pour une ratification rapide de l’accord. L’Allemagne, en particulier, y voit une opportunité clé pour ses constructeurs automobiles.
En Amérique du Sud, des dirigeants comme le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva soutiennent l’accord, y voyant un levier pour stimuler le commerce régional et la croissance économique. Le président argentin Javier Milei a également exprimé son soutien, marquant une rupture avec les réticences de son prédécesseur.
Les industriels des deux blocs, notamment les constructeurs automobiles européens et les entreprises pharmaceutiques, soutiennent également l’accord pour accéder à des marchés en pleine expansion.
L’opposition française et les enjeux environnementaux
La France, avec le plus grand secteur agricole de l’UE, mène l’opposition au sein du bloc européen, soutenue par des pays comme l’Autriche, les Pays-Bas et la Pologne. Le président Emmanuel Macron a réclamé des normes environnementales et sociales plus strictes, affirmant que « la France ne signera pas l’accord en l’état. »
Paris souhaite intégrer des « clauses miroirs, » imposant des standards identiques pour les produits échangés entre les deux blocs. Les ONG environnementales, comme Greenpeace, redoutent également que l’accord n’accélère la déforestation de l’Amazonie et n’encourage l’utilisation accrue de pesticides nocifs.
Quelle suite pour l’accord ?
Le sommet du Mercosur prévu les 5 et 6 décembre en Uruguay pourrait être décisif. Toutefois, même en cas de signature, l’accord devra être ratifié par les 27 États membres de l’UE, le Parlement européen et les parlements nationaux, ce qui laisse une marge de manœuvre à la France pour bloquer le texte.
Pour contourner ces obstacles, la Commission européenne envisage de scinder l’accord en deux parties : un volet commercial, nécessitant une majorité qualifiée, et un volet de coopération, soumis à une ratification unanime. Cette stratégie pourrait priver la France de son droit de veto, sauf si elle parvient à mobiliser un bloc suffisant pour s’opposer à l’accord.
L’avenir de cet accord, qui pourrait redessiner les échanges économiques entre deux continents, reste suspendu à la capacité des négociateurs de concilier intérêts économiques, préoccupations environnementales et exigences sociales.