À la veille des élections présidentielles du 6 octobre, le président tunisien, Kais Saied, se prépare à affronter un scrutin où la voie semble toute tracée pour sa réélection. Ses principaux opposants étant soit emprisonnés, soit empêchés de se présenter, Saied, en poste depuis cinq ans, est sur le point de décrocher un second mandat sans grande concurrence.
Depuis la chute du président Zine El Abidine Ben Ali en 2011, à la suite des soulèvements de la révolution tunisienne, il s’agit de la troisième élection présidentielle en Tunisie. Ces élections sont souvent perçues comme les symboles du succès démocratique de la nation, unique héritière des espoirs du Printemps arabe. Toutefois, cette année, la situation est bien différente. Des vagues d’arrestations, des exclusions arbitraires de candidats et une autorité électorale placée sous la coupe du pouvoir soulèvent des doutes sur la légitimité et la transparence de ce scrutin.
Un paysage politique bouleversé
Il y a cinq ans, Kais Saied, alors outsider, avait su capter l’attention des Tunisiens en promettant une « Nouvelle Tunisie », marquée par plus de pouvoir aux jeunes et une meilleure gouvernance locale. Toutefois, après son élection en 2019, il a progressivement concentré les pouvoirs entre ses mains. En juillet 2021, dans un geste largement dénoncé par les partis d’opposition comme un coup d’État, il a suspendu le parlement et s’est octroyé des pouvoirs exceptionnels. Une nouvelle Constitution, approuvée en 2022 lors d’un référendum avec un taux de participation très bas, a renforcé son emprise sur le pays.
Depuis, Saied a fait emprisonner bon nombre de ses opposants, parmi lesquels des journalistes, avocats, et figures de la société civile. Les arrestations ont été justifiées par des accusations de menaces contre la sécurité de l’État ou de diffusion de « fausses informations ». Dans ce contexte, plusieurs partis, dont le Front de Salut National, un regroupement de partis laïcs et islamistes, ont appelé à boycotter les élections, dénonçant un processus truqué.
Une élection verrouillée
Sur les 17 candidats qui avaient déposé leur candidature pour cette présidentielle, seuls trois ont été retenus par l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE), dont Kais Saied. Parmi les deux autres, Zouhair Maghzaoui, un vétéran de la politique, critique les récentes arrestations, mais a soutenu certaines des décisions controversées de Saied, comme l’adoption de la nouvelle constitution. Le dernier candidat, Ayachi Zammel, est un homme d’affaires déjà impliqué dans plusieurs affaires de fraude électorale.
Quant à ceux qui avaient souhaité se présenter, nombreux sont ceux qui se sont retrouvés derrière les barreaux. Rached Ghannouchi, chef historique du parti islamiste Ennahda, et Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre, deux figures clés de l’opposition, sont notamment empêchés de participer. Ces exclusions et les nombreuses arrestations qui les accompagnent donnent une allure de course solitaire pour Saied.
Une économie en crise, une jeunesse désillusionnée
Sur le plan économique, la situation tunisienne ne cesse de se détériorer. Le chômage reste l’un des plus élevés de la région, touchant particulièrement les jeunes, et la croissance est freinée par une dette publique colossale. Malgré des promesses de réformes, Kais Saied peine à trouver une issue à la crise. Les négociations avec le FMI, qui a proposé un plan de sauvetage de 1,9 milliard de dollars en 2022, sont au point mort, Saied refusant de se plier aux conditions strictes, telles que la réduction des subventions sur les produits de base.
Cette crise économique a également amplifié l’exode de nombreux Tunisiens et migrants subsahariens cherchant à rejoindre l’Europe. Le président Saied, au début de l’année 2023, a durci sa position sur l’immigration, n’hésitant pas à associer les migrants à la montée de la criminalité dans le pays, une rhétorique qui a exacerbé les tensions et conduit à des violences xénophobes.
Un leadership contesté, un avenir incertain
Sur la scène internationale, Saied a cherché à renforcer les liens avec des puissances comme la Chine et l’Iran, tout en maintenant des relations pragmatiques avec les partenaires traditionnels de la Tunisie, notamment l’Union européenne. Néanmoins, ses politiques intérieures controversées et sa gestion de l’économie continuent d’inquiéter les investisseurs étrangers.
Alors que le pays se dirige vers ces élections, l’engouement populaire, qui avait propulsé Saied au pouvoir en 2019, semble avoir faibli. Avec un taux de participation qui risque d’être faible, comme lors des élections parlementaires de 2022 et locales de 2023, l’avenir de la démocratie tunisienne paraît plus incertain que jamais.
Conclusion
Kais Saied se trouve face à une élection quasiment gagnée d’avance, mais avec un soutien populaire difficile à évaluer. Alors que la Tunisie traverse une crise profonde, tant sur le plan politique qu’économique, les enjeux de ce scrutin ne concernent pas uniquement l’avenir du président, mais aussi celui de toute une nation autrefois modèle d’espoir démocratique dans le monde arabe.