Mardi dernier, Vladimir Poutine a signé une version révisée de la doctrine nucléaire russe, un document sobrement intitulé « Principes fondamentaux de la politique d’État en matière de dissuasion nucléaire ». Derrière ce titre bureaucratique se cache un contenu alarmant, qui abaisse le seuil d’utilisation de l’arsenal nucléaire de Moscou, le plus grand au monde.
La nouveauté ? Une ouverture à l’usage d’armes nucléaires en réponse à une attaque conventionnelle appuyée par une puissance nucléaire. Cela pourrait inclure des frappes comme celles menées mardi par l’Ukraine, utilisant des missiles ATACMS fournis par les États-Unis, et visant la région russe de Briansk. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a confirmé que de telles actions pourraient déclencher une réponse nucléaire, conformément à ce nouveau cadre stratégique.
Qu’est-ce que la doctrine nucléaire russe ?
Introduite pour la première fois en 2020, cette doctrine définit les situations dans lesquelles la Russie peut recourir à ses armes nucléaires. Le document actuel les décrit comme une « mesure extrême et contrainte », destinée à préserver « la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’État ».
Elle précise aussi que la dissuasion nucléaire vise à empêcher l’aggravation de conflits militaires et à dissuader tout agresseur potentiel, en lui rappelant « l’inévitabilité de représailles ». Toutefois, la dernière version va plus loin en détaillant les cas où une réponse nucléaire pourrait être envisagée, même en cas d’attaques conventionnelles.
Les nouveaux déclencheurs
Selon la doctrine révisée, la Russie pourrait utiliser des armes nucléaires dans les situations suivantes :
- Une attaque avec des armes nucléaires ou de destruction massive sur la Russie ou ses alliés.
- Une agression conventionnelle contre la Russie ou la Biélorussie menaçant leur souveraineté ou leur intégrité territoriale.
- Une attaque impliquant un État non nucléaire, mais soutenue par une puissance nucléaire.
- Une menace sur les infrastructures gouvernementales ou militaires critiques de la Russie, compromettant sa capacité de riposte nucléaire.
En outre, toute information fiable sur le lancement de missiles balistiques ou de drones tactiques traversant la frontière russe pourrait justifier une réponse.
Escalade ou bluff stratégique ?
L’annonce de cette révision intervient seulement deux jours après que Washington a autorisé Kyiv à utiliser des missiles longue portée pour frapper des cibles en Russie. Ce calendrier n’est pas anodin : le Kremlin semble vouloir envoyer un avertissement clair à l’Occident.
Pour autant, les experts divergent sur la probabilité d’un recours imminent aux armes nucléaires. Selon Jack Watling, chercheur au Royal United Services Institute au Royaume-Uni, ces menaces sont conçues pour maintenir l’Occident en alerte sans nécessairement passer à l’action. Mais il avertit que la Russie pourrait intensifier d’autres formes d’agression, comme le sabotage sous-marin ou des attaques indirectes via des alliés.
Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité russe, a toutefois tenu des propos plus explicites, qualifiant l’usage de missiles de l’OTAN contre le territoire russe d’attaque directe des pays du bloc. Selon lui, cela pourrait justifier une riposte avec des armes de destruction massive contre Kyiv et les infrastructures de l’OTAN.
Une situation hautement volatile
Tatiana Stanovaya, du Carnegie Russia and Eurasia Center, estime que ces menaces reflètent une stratégie visant à placer l’Occident face à un dilemme : accepter les conditions de paix dictées par Moscou ou risquer une confrontation nucléaire.
Elle ajoute que cette posture pourrait aussi influencer les débats politiques aux États-Unis, mettant la pression sur l’administration Biden tout en renforçant les arguments de ceux prônant une négociation directe avec Poutine.
Quoi qu’il en soit, la révision de cette doctrine marque un tournant dangereux. Alors que l’escalade du conflit en Ukraine se poursuit, le monde reste suspendu aux décisions du Kremlin, avec une question cruciale : jusqu’où Vladimir Poutine est-il prêt à aller ?