
La cinéaste pionnière martiniquaise évoque sa carrière révolutionnaire lors d’une soirée organisée avec la participation de Director Fits, du Princeton French Film Festival, de l’Organisation internationale de la Francophonie et de Villa Albertine.
New York, NY – 4 avril 2025 – Vendredi dernier, le cinéma Metrograph, situé dans le Lower East Side, a vibré au rythme du cinéma et des musiques caribéennes, au gré des récits historiques qui ont forgé l’héritage d’Euzhan Palcy.
La soirée a débuté avec Siméon, un chef-d’œuvre cinématographique réalisé en 1992 par Euzhan Palcy. Cette ode joyeuse à la culture martiniquaise, récemment restaurée en 4K, met en scène le groupe légendaire Kassav’, avec Jocelyne Béroard et Jacob Desvarieux. Le film incarne à l’écran l’union entre la Martinique et la Guadeloupe, portant haut le message d’unité cher à la réalisatrice.
Le programme s’est poursuivi avec Une saison blanche et sèche, réalisé en 1989, un film brûlant sur l’apartheid qui a fait d’elle la première femme noire à réaliser un long-métrage pour un grand studio hollywoodien.
Mais le moment fort de la soirée fut sans conteste la discussion entre Euzhan Palcy, aujourd’hui âgée de 72 ans, et le modérateur Hagop Kourounian (Director Fits). Vêtue d’une veste en velours bleu, rayonnante d’une rare intensité, Euzhan a dévoilé les coulisses de son parcours, de son enfance en Martinique à son statut de pionnière du cinéma engagé.
« Je ne pouvais pas accepter qu’on nous exclue », affirmait la cinéaste.

Le récit des débuts de Palcy était aussi poétique que ses films. « Enfant, j’adorais Hitchcock, mais chaque dimanche au cinéma, je constatais l’absence des Noirs, des gens qui me ressemblaient », se souvient-elle. « Et quand on y figurait, c’était de manière peu louable. J’ai prié Dieu : Fais de moi une réalisatrice pour changer cela. »
Cette prière l’a conduite à Paris, armée des conseils de sa grand-mère : « Si quelqu’un te dit non, passe à travers la fenêtre. »
Elle a particulièrement insisté sur le rôle central de Kassav’ dans Siméon :
« Les réunir pour jouer le rôle principal dans ce film était un acte de résistance contre ceux qui ont toujours voulu opposer les habitants de la Martinique et de la Guadeloupe. Jocelyne et Jacob incarnaient cette unité des Antilles que le système colonial avait voulu briser. Leur présence à l’écran était un acte politique », commentait l’artiste, face à un public conquis par son talent.
Le prix de la vérité
La conversation prit une tournure plus passionnante lorsque Palcy revint sur Une saison blanche et sèche.
« Marlon Brando s’est battu pour moi quand le studio a résisté », révéla-t-elle, soulignant les défis d’être la première femme noire à diriger un grand projet de cinéma à Hollywood.
Mais au-delà des batailles à Hollywood, c’est en Afrique du Sud, alors sous le joug de l’apartheid, que la réalisatrice a montré l’étendue de son courage. Pour obtenir les informations nécessaires à la réalisation du film, Euzhan Palcy s’y infiltra clandestinement, au péril de sa vie. Se faisant passer pour une simple chanteuse , elle réussit à rencontrer des activistes, à enregistrer des témoignages interdits autant de documents qu’elle dut dissimuler dans ses sous-vêtements pour quitter le pays sans être arrêtée.
Ce geste audacieux, presque inimaginable, témoigne de la détermination farouche de la cinéaste à offrir une contribution cinématographique digne de la lutte contre l’apartheid. Une œuvre née d’un acte de résistance, forgée dans la clandestinité, et portée par un engagement sans concession.
Une soirée sous le signe de la francophonie
Cet événement s’inscrivait dans une collaboration prestigieuse, soulignant l’importance du cinéma francophone.
« Euzhan Palcy représente exactement ce que nous espérons voir davantage sur les grands écrans du monde », a commenté une cinéphile, membre de l’Organisation internationale de la Francophonie. « Son œuvre transcende les frontières tout en honorant nos cultures. »
La magie a opéré jusqu’au bout, lorsque Palcy, émue, a reçu une standing ovation.
« Le cinéma peut changer le monde », a-t-elle conclu. « Il suffit d’avoir le courage de montrer ce que d’autres préféreraient ignorer. »
À propos d’Euzhan Palcy
Première femme noire à réaliser un film pour un grand studio hollywoodien (Une saison blanche et sèche), Palcy est chevalière de la Légion d’honneur et lauréate d’un César pour La Rue Cases-Nègres. Son œuvre célèbre les voix caribéennes et la justice sociale.
Une soirée qui restera dans les annales du cinéma new-yorkais, aussi vibrante que l’œuvre d’Euzhan Palcy elle-même.