Conakry, le 5 septembre 2024 – En déplacement en Guinée, Kamel Ouassagari Bio Sika Abdel Kamel, député au Parlement béninois et membre du Parlement de la CEDEAO, a accordé une interview à la presse guinéenne. Durant cet entretien riche en détails, l’homme politique a abordé des questions majeures liées à la gouvernance au Bénin, à la démocratie et à l’instabilité politique en Afrique. Voici la retranscription complète de l’interview.
Journaliste : Monsieur le député, bonjour.
Kamel Ouassagari Bio Sika Abdel Kamel : Bonjour.
Journaliste : Nous allons aborder avec vous plusieurs sujets, notamment la situation sociopolitique du Bénin, votre pays, dirigé actuellement par le président Patrice Talon. Nous évoquerons aussi les récents coups d’État en Afrique. Commençons par le Bénin. Quelle est votre analyse de la situation sociopolitique actuelle dans votre pays ?
Kamel Ouassagari : Merci, monsieur le journaliste. Je tiens d’abord à remercier la Guinée pour l’accueil chaleureux que j’ai reçu. Cela fait quelques jours que je suis ici, et c’est la première fois que j’ai l’opportunité de m’adresser à la presse locale. En tant que député de la neuvième législature du Parlement béninois et représentant au Parlement de la CEDEAO, je suis heureux de partager mon point de vue avec vous.
Pour répondre à votre question, je pense qu’il est essentiel de revenir sur l’historique de la démocratie au Bénin. Notre pays a été le premier en Afrique subsaharienne à organiser une Conférence Nationale en 1990, qui a ouvert la voie à un régime démocratique stable, marqué par plusieurs alternances pacifiques au pouvoir. Après Kérékou, Soglo, Boni Yayi, nous avons vu le président Patrice Talon prendre le pouvoir en 2016. Lors de son investiture, Talon avait promis de n’effectuer qu’un seul mandat pour prouver qu’il pouvait transformer le pays en cinq ans. Cependant, en 2021, il a brigué un second mandat, ce qui a déçu une grande partie de la population.
Aujourd’hui, nous vivons une situation difficile, avec une démocratie fragilisée. Des figures de l’opposition, comme Reckya Madougou et Joël Aïvo, sont emprisonnées pour avoir osé se porter candidates contre Talon. Ces arrestations témoignent d’une volonté de museler toute opposition, et cela inquiète fortement la communauté nationale et internationale.
Journaliste : Vous parlez de dérive autoritaire. Pouvez-vous nous en dire plus sur les mécanismes qui ont permis au président Talon de se maintenir au pouvoir ?
Kamel Ouassagari : Oui, bien sûr. En 2019, il y a eu une révision de la constitution, orchestrée par une majorité parlementaire acquise au pouvoir de Talon. Cette révision a instauré le « parrainage », une nouvelle règle qui oblige les candidats à obtenir l’appui des élus, tous majoritairement membres de partis soutenant le président. Ce parrainage a permis à Talon de choisir ses adversaires pour l’élection de 2021, ce qui a rendu impossible toute véritable opposition.
Nous avons également vu l’introduction de lois restrictives pour l’accès aux élections, ce qui a mené à un Parlement presque entièrement composé de soutiens de Talon. Ces manipulations du processus électoral sont, selon moi, des « coups d’État civils ».
Journaliste : Justement, en parlant de coups d’État, cela fait trois ans que la Guinée a connu un coup d’État militaire. Que pensez-vous de la prolifération des coups d’État en Afrique, et comment les situez-vous par rapport aux dérives civiles que vous mentionnez ?
Kamel Ouassagari : Il est important de comprendre que les coups d’État ne sont pas seulement militaires. Dans de nombreux pays africains, les coups d’État civils, où des dirigeants s’accrochent au pouvoir en manipulant les constitutions, sont tout aussi destructeurs, voire plus. Prenons l’exemple de la Côte d’Ivoire ou du Burundi, où des présidents ont modifié les constitutions pour rester au pouvoir, malgré l’opposition de leurs peuples. Cela a entraîné des violences et des centaines de morts.
Les institutions comme la CEDEAO ou l’Union africaine doivent sanctionner tous les types de coups d’État de manière équitable. Malheureusement, elles ont souvent tendance à se concentrer uniquement sur les coups d’État militaires, tandis que les coups d’État civils passent inaperçus ou sont même tacitement soutenus.
Journaliste : En tant qu’opposant au régime actuel au Bénin, quelles sont vos stratégies pour les élections de 2026 ? Pensez-vous que le système actuel permettra des élections libres et transparentes ?
Kamel Ouassagari : Nous restons vigilants et déterminés à mener cette bataille démocratique. En 2023, malgré toutes les tentatives de verrouillage du système électoral, nous avons réussi à obtenir 28 sièges au Parlement, ce qui nous donne une minorité de blocage. Nous avons déjà réussi à empêcher une tentative de révision de la constitution en mars dernier. C’est une victoire pour la démocratie béninoise.
Cependant, il est crucial de réformer le code électoral pour que les élections de 2026 soient véritablement libres et transparentes. Nous allons mener un plaidoyer national et international pour que ce code soit révisé et que les conditions électorales ne soient pas faussées.
Journaliste : Pour conclure, comment voyez-vous l’avenir du Bénin et de la démocratie en Afrique de l’Ouest ?
Kamel Ouassagari : Je reste optimiste. Le peuple béninois est résilient et aspire à une véritable démocratie. Nous avons vu que, malgré les tentatives de museler l’opposition, le peuple continue de soutenir massivement les mouvements pour l’alternance. Je crois qu’en 2026, nous assisterons à un tournant politique dans notre pays.
En Afrique de l’Ouest, il est essentiel de promouvoir des institutions solides qui garantissent des transitions pacifiques et démocratiques. L’alternance politique est la clé pour le développement de nos pays. Si nous continuons de soutenir des régimes autoritaires, nous ne pourrons jamais véritablement développer nos nations.
Journaliste : Merci beaucoup, Monsieur Kamel, pour cet échange enrichissant. Nous espérons vous revoir bientôt en Guinée.
Kamel Ouassagari : Merci à vous, et « Aussi, en réponse à ta dernière question, je tiens à féliciter le Parlement de la Guinée pour ses efforts inlassables en faveur du retour à l’ordre constitutionnel, sous la direction du Président du CNT, le Dr Dansa Kourouma. Je souhaite également saluer le Président de la transition, Mamadi Doumbouya, qui ne ménage aucun effort pour soutenir le Parlement et œuvrer à la mise en place d’institutions fortes, garantes d’un avenir prometteur pour la Guinée. Enfin, j’invite le peuple guinéen à accompagner ses dirigeants dans cette mission qu’Allah a confiée à chacun d’eux en ce moment crucial de l’histoire du pays. » je tiens à dire que la Guinée est un pays magnifique. J’espère y revenir pour mieux découvrir sa richesse culturelle et son peuple chaleureux.